Le siècle des intellectuels by Winock Michel

Auteur:Winock, Michel [Winock, Michel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai, Histoire
Éditeur: Seuil
Publié: 1997-06-14T22:00:00+00:00

A cette époque, Maurras peut se féliciter des formes et des principes du nouvel État, si opposés à ceux de la Révolution et de la démocratie républicaine : l’adversaire de la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » se réjouit de son remplacement par « Travail, Famille, Patrie » ; le pourfendeur des « métèques » applaudit à la loi du 17 juillet 1940, barrant l’accès de la fonction publique et des professions juridiques aux personnes nées de père étranger, ainsi qu’à la loi du 22 juillet ordonnant la révision des naturalisations depuis 1927. « La France aux Français », titre L’Action française du 21 juillet 1940, et Maurras se rassure, le 24 : « Les Français recommencent à être chez eux en France », ce qui ne manque pas de sel, soit dit en passant, étant donné l’époque. L’ennemi de la IIIe République jubile d’apprendre qu’une Cour suprême de justice est instituée le 30 juillet pour juger les ministres responsables de la défaite. Le dénonciateur des francs-maçons se félicite de la loi du 13 août interdisant les sociétés secrètes. Le tenant d’un « antisémitisme d’État » se montre ravi du Statut des Juifs du 3 octobre 1940 (renforcé par celui de juin 1941), qui les écarte des emplois publics et de certaines professions libérales. L’instauration d’un Commissariat général aux questions juives, le 29 mars 1941 – ce « monument consacré à la défaite de l’Ennemi intérieur » (2 avril 1941) –, le comble et encore plus le fait que son premier titulaire, Xavier Vallat, soit des siens : « Son patriotisme éclairé, ses connaissances juridiques et son expérience professionnelle apporteront à l’œuvre du Gouvernement un concours très précieux. Il faut que les Juifs comprennent qu’ils ont fini d’abuser » (2 avril 1941). Le partisan du régime corporatiste voit avec satisfaction se mettre en chantier, dès décembre 1940, la Corporation paysanne, en attendant la Charte du travail, promulguée en octobre 1941, toutes deux visant à la fin des luttes de classes. D’une manière générale, le style du nouveau régime, moralisateur, paternaliste, nataliste, clérical, s’accorde bien avec la pensée plus conservatrice que révolutionnaire de Charles Maurras. Et si l’évolution du régime n’est pas toujours au diapason de ses vœux, du moins L’Action française est-elle restée, sous la conduite de Maurras, d’une fidélité sans défaillance au Maréchal.

Gardien vigilant du pétainisme, Maurras ne se contente pas de tresser des couronnes à Philippe Pétain, il lui sert aussi de garde idéologique. L’Action française, l’Occupation durant, dénonce sans relâche les ennemis de la Révolution nationale5. Au premier chef, Charles de Gaulle et la France libre. L’équipe de Charles Maurras considère l’homme du 18 Juin comme un « traître ». Maurice Pujo l’explique : « Ceux qui sont partis pour Londres ont abandonné la terre de la patrie à l’Allemagne, mis son sort à la discrétion de l’Angleterre et n’ont gardé pour eux qu’une patrie idéale dont l’image même pâlira ou s’évanouira en exil » (19 juillet 1940). De Gaulle, du reste, sera, le 2 août 1940,

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